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SIMBAD

Le voyage pour moi ce n'est pas arriver, c'est partir. C'est l'imprévu de la prochaine escale, c'est le désir jamais comble de connaitre sans cesse autre chose. C'est demain, éternellement demain ...

Charles Baudelaire - Le serpent qui danse

Publié le 29 Juin 2009 par SIMBAD in "LES FLEURS DU MAL"



LE SERPENT QUI DANSE

Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau!

Sur ta chevelure profonde
Aux acres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêlent
L’or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l'eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon coeur!

Charles Baudelaire, "Les Fleurs du mal"

C’est certainement sa maîtresse Jeanne Duval que Baudelaire décrit dans "Le serpent qui danse". Le champ lexical du voyage, de l’exotisme renvoie à sa rencontre de 1842 avec la belle mulâtre, actrice dans un théâtre parisien. Portrait d’une femme réelle certes, mais aussi succession d’images, d’impressions ; métamorphoses provoquées par le rythme des vers et la démarche de sa "belle indolente". C’est un poème de neuf strophes composé de quatrains de huit et cinq syllabes à rimes croisées. Notons également l’alternance des rimes féminines et masculines. Cette régularité de la strophe et du vers concourt à donner un rythme régulier, comme celui d’une danse justement. Rien n’est immobile dés le début du poème, la peau vacille comme la moire d’une étoffe, la chevelure devient une mer sur laquelle l’imagination de Baudelaire appareille. Nous avons donc, en trois métaphores, plus un rêve de femme qu’une femme réelle.Cependant, la description progresse en utilisant des parties du corps : la peau (strophe 1), la chevelure (strophe 2), les yeux (strophe 4), la tête (strophe 6), le corps (strophe 7), la bouche, les dents et même la salive (strophe 8).A chaque fois, un ou plusieurs verbes de mouvement rythment l’évocation de la femme. Le poète file la métaphore de l’eau et de la mer parce qu’elle permet de donner ce mouvement régulier et doux : danse, balance, se penche, s’allonge, roule, remonte. Tous participent à cette sensation, d’autant plus que les assonances en voyelles nasales assourdissent le poème et atténuent la violence du mouvement.Cette grâce animale ne laisse pas d’être inquiétante par son absence de passion humaine. Que penser des yeux qui mêlent l’or et le fer – deux couleurs qui évoquent le regard vide du serpent -, des eaux de fonte des glaciers grondants qui remontent à sa bouche ? Il faut toute l’ "âme rêveuse" du poète pour transformer une boisson amère en "vin de bohème". C’est une victoire de l’imagination (vainqueur) alors que la femme n’exprime aucun sentiment, « ni de doux, ni d’amer ».Comme dans d’autres poèmes – la chevelure par exemple - le corps de la femme sert de prétexte à l’évasion. "La femme est surtout une harmonie générale, non seulement dans son allure et le mouvement de ses membres, mais aussi dans les mousselines, les gazes, les vastes et chatoyantes nuées d’étoffes dont elle s’enveloppe et qui sont comme les attributs et le piédestal de sa divinité". (Baudelaire, Le peintre de la vie moderne).

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