Descendant d'une famille d'artistes et de chercheurs reconnus, et de ce fait disgraciée par le régime dictatorial, mon ami, le poète albanais Primo Shllaku préféra se maintenir dans l'ombre pour ne pas avoir à subir, lui aussi, la persécution. Il fit néanmoins pendant vingt ans le petit maître de campagne, s'affrontant à des conditions de vie particulièrement défavorables. Féru de langues étrangères et de culture classique et moderne, il succombe lui aussi au "gène" de la famille et écrit des vers, qu'il prend bien soin de ne pas montrer. À la chute de la dictature, il en profite pour s'évader en Grèce. Dès la publication de son premier volume, Fleurs nocturnes (1994), il devient le poète admiré de la jeune génération et certains même l'identifient à un nouveau Baudelaire albanais. Ses deux volumes ultérieurs confortent sa notoriété, en révélant un poète mûr et sûr de ses moyens.
Je suis la marée et sa vague sournoise
qui remonte les rives chaudes de ton corps.
Je suis le miroir qui par les yeux d'un tiers
témoigne de la magie de nos instants partagés.
Je suis le trou vide que laisse le soleil couchant.
Je suis le trou plein que fait la lune naissante.
Je suis celui qui ne voit pas le paysage de ton corps
s'étaler sous ma peau fidèle.
Je fais de mes doigts lestes vibrer les cordes des lyres
qui pendent autour de tes hanches timides.
Je suis la brise fraîche sur ton corps apparu,
je suis l'ouragan tenace remuant tes paysages innocents.
Je suis celui qui vient à toi, sans cadeau,
comme les oiseaux.
Tu es celle qui vient à moi, sans cadeau,
comme les oiseaux.
Toi et moi
une histoire inachevée ...
- Poèmes traduits de l'albanais par Ardian Marashi -